Envie et envie et envie, Toujours l’envie procréatrice du monde.
Walt Whitman, « Chanson de moi-même »
Aucun autre critique littéraire bien connu ne suscite autant d’éloges ou de vitriol, et pas dans la même mesure, comme le fait Harold Bloom. Il est soit défendu comme un provocateur professionnel — un « colossal » parmi les critiques —, soit, comme c’est le plus souvent le cas, il est condamné comme un sac à vent prétentieux. S’il n’est pas un génie, il est, selon les mots de Joseph Epstein dans une pièce à succès particulièrement méchante pour la Hudson Review, « la plus comique des figures comiques inconscientes. . ., l’équivalent intellectuel de ce personnage dans P. G. Wodehouse dont Wodehouse écrit qu’il ressemblait à quelqu’un qui était versé dans ses vêtements mais oubliait de dire quand » (215). « Pour autant qu’on puisse le déterminer », poursuit Epstein, « L’Anxiété de l’Influence a eu très peu d’influence et semble avoir causé de l’anxiété principalement chez Harold Bloom, qui prétend que peu de gens la comprennent vraiment » (215). Et, Terry Eagleton, dans ses Figures de dissidence, écrit que la théorie de Bloom, « comme Henry Fielding l’a observé à propos de la croyance que les bons obtiendront leur récompense dans ce monde, n’avait qu’un inconvénient, à savoir que ce n’était pas vrai » (Figures 168). Sur la façon de lire et pourquoi, en particulier, Eagleton continue à écrire, le livre de Bloom, « d’une grande importance personnelle, s’effondrerait à la moindre bouffée d’ironie » (169).
Eagleton et Epstein ne sont guère seuls dans leur critique du projet de Bloom. Sandra Gilbert et Susan Gubar, dans leur La Folle au Grenier, suggèrent que la théorie de Bloom, enracinée, même nominalement, comme dans le Complexe d’Œdipe de Freud, est « offensivement sexiste pour certaines critiques féministes » (47) tandis que d’autres critiques suivent de la même manière: Geoffrey Hartman, dans sa Critique dans le Désert; Elizabeth Bruss, dans ses Belles Théories; Jonathan Arac, dans sa Postface aux Critiques de Yale; et Edward Said, dans son The World, the Text et the Critic, conclut tous que Bloom est moins que ce qu’Arac qualifie d' »iconoclaste » (179) qu’un défenseur conservateur du canon littéraire occidental et maléfique.1
Dans cet essai, je plaide pour une façon de lire Bloom qui nous permette de donner à Bloom son dû sans recourir à des attaques ad hominem (Epstein) ou à un licenciement pur et simple car sa théorie n’est pas « vraie » (Eagleton). Plutôt que de poser des questions comme « Bloom a-t-il raison? »ou, plus précisément, « Les poètes sont-ils vraiment engagés dans une lutte héroïque avec leurs pères poétiques? »- nous pourrions plutôt lire Bloom de la même manière que Richard Rorty lit Platon, Heidegger, Proust et Nabokov: en tant qu’auteur d’un nouveau vocabulaire, d’une nouvelle façon de parler, de décrire et de re-décrire le monde. En d’autres termes, nous devrions lire Bloom ironiquement — c’est-à-dire à travers les yeux d’un pragmatique. En ce sens, Bloom, comme William Blake, n’est pas seulement un ironiste dans une lutte angoissante pour la création de soi. Au contraire, la tétralogie des livres dans laquelle Bloom décrit sa théorie de l’influence poétique — L’anxiété de l’influence: A Theory of Poetry (1973), Kabbale and Criticism (1975), A Map of Misreading (1975) et Poetry and Repression (1976) peuvent être compris non pas comme offrant une nouvelle épistémologie qui doit porter le fardeau des revendications de vérité, mais, selon Cynthia Ozick, « comme un long poème en prose théophane, une version rationalisée des livres prophétiques héroïques de Blake » (46).2
Si Ozick a raison sur la façon dont nous devrions lire Bloom, qu’en est-il du pourquoi? La théorie de Bloom, enfin, concerne la relation entre ce que Nabokov appelle le « bonheur esthétique » et l’être (314). Le premier insuffle de la vie au second. Une lecture difficile, écrit David Denby, « se développe. . . l’endurance dans la façon dont la pratique de la piste renforce la puissance pulmonaire et le muscle » (236). Dans un passage qui semble avoir pu être écrit par Harold Bloom, Denby argumente dans son récent livre, Lit Up,